Pâques à Bongheat avant 1914
Notre doyen Albert Reynard a recueilli en 1992 le témoignage écrit de son amie Juliette Blateyron, alors âgée de 85 ans. Le père de cette dame, devenue par la suite institutrice publique, est mort à la guerre de 14, et on perçoit la cassure dans sa vie et dans celle de tous ses contemporains. Elle a écrit ce témoignage dans sa langue natale : le patois. A travers ce récit émouvant, on voit aussi que les gens respectaient des rituels qui ne sont pas sans évoquer d'ancestrales fêtes printanières de fertilité, comme les bouquets de fleurs ou de cerises au chapeau neuf des fillettes, ou les œufs teints en vert... J'espère que la très pieuse Juliette me pardonnera cette pensée….
Voici le texte de Juliette Blateyron, suivi de la traduction d'Albert Reynard.
Ce texte a été publié dans l'Echo Municipal de Bongheat du second semestre 2002.
Le Petsai à Bongheat
Co
comminsaillo pas lu Raipants. Bien neutre dzardi iaillo du ou tri greu
raipants. Le sate, là finnais de le Rotso venions quère de brintsès de
raipants ; n'en tanions pè dien liu vialadze.
Le
dimintse, le monde s'envouè è lo iézo pas fouère benedji lu raipants.
prè faut lu gardai dien lo mouèsou, col o presarvo do maleu.
Lo semano avan Petsai, co se preparo la fêto.
Le liu, è Billom, tsaton ce que fo : de marliusto pas fouère mouègre, un po de cafè, de sucro.
Lu
èfants sont billa de nieu. Pas lè fillès no robo et un tsapa de paillo
d'Italie bè un bouque de fiu ou desardèrai ; pas lu garçus de
brayais et no vesto bè le col marin.
Le pa, lo ma, le grand, lo grando tanon liu habi de fêto bien massa dien l'armouèro, que ne suzon pè et tsandzon pè de modo.
Lo
semano sainto yo de messai touto lu mati. Lè pu grandè quouè le dzeu,
le vendre et le sate. Lè finnais et liu èfants y vont et quoqui homi,
mais pè tro.
Le
sate, le cura benedji l'aigo, et to le monde importo è moueso, l'aigo
bènito, dien no petito bouteillo. Lè clotsè qu'ayon partite a Rome sont
tournada et sonnon tant que povon tirai lè cordai lu du soneuri (le
Toine et le Benoît Bleu). Le sate, encaro, le monde vauè se confessai,
pas poudi communiai le dimintse et « gagnai sè Petsa ». Lou
homis y van como lè finnais. De mon tèmpo què qui gagno pè sè Petsai,
aillo montre do de.
Me rappele le dinè do vendre saint tsè nu :
Lo
grando dè l'Heume fatzo de rissebè de lè, mon grand l'amayo pas tro,
mais n'in mandzaïoquand mêmo ! Fatzo encaro de illeu bè lo
coquillo vardo, parce que sillom cueu bè de faillès de pourado.
Me rappele que tialaillon pè lè vatzai ou lu bieu le vendre saint.
Me
rappele que bè mon frère Marcel et mo vejeno Germain èpiaïen dieu le
ciè touto lu dzu po vire passo lè clotzè. Et credze be que l'ayon
vedioudai talamin choura que lè s'envouelayon.
Me
rappele que le grand tseufaillo le four pas cuiure lè pouompai de pouon
o be de bellaidai. Amayo surtou lo beilladai. Né dzama tourba lo
paraillo de mo vode. Yo n'en gardo encaro lo gou !
Me rappele mo aillin contin le dzu de Petsai bé neutri habi nieu, pas né é lo messo.
Davan
lo porto do lo iézo, le monde se parlaillon, contin de se tourbai, de
dirai lé nouvalai. Embrasaillin lu tonton, lé tata, et lu tiuju
(cousins).Quan lo closto souno tri co, le monde rintro dien lo
iézo : lu homis montayon dienlo tribuno, lé finnins et lu éfants
dénoueron dé bai, lu homis que tsantaillon se seton dien le chœur.
Me
rappele sourtou, que to le monde aillon l'air contin ; me demouro
le souveni de figure bé le sourir, qu'aimaillon parlai et martsai bé lu
autri dien lu tsami.
Pré lo diaro tou e tsandza :
- tro d'homis aillon èta tua,
- lo religio se perdiudsa,
- le monde y vindiou pu tsagrin,
- mon pa,ma ma, mon grand, ma grando, ayon trètu mort,
- un mourça de mo vido aillo tsaba !
Pâques à Bongheat, avant la guerre de 14.
Cela
commençait pour les Rameaux. Dans notre jardin, il y avait deux ou
trois gros rameaux. Le samedi, les femmes de Laroche venaient chercher
des branches de rameaux, elles n'en avaient pas dans leur village.
Le
dimanche, le monde s'en va à l'église pour faire bénir les rameaux.
Après, il faut les garder dans la maison, ça préserve du malheur.
La
semaine avant Pâques se préparait la fête. Le lundi à Billom, on
achetait ce qu'il faut : de la morue pour faire maigre, un peu de
café, de sucre. Les enfants sont habillés de neuf. Pour les filles une
robe et un chapeau de paille d'Italie avec un bouquet de fleurs ou de
cerises ; pour les garçons un pantalon et une veste avec col
marin.
Le
père, la mère, le grand-père, la grand-mère avaient ce qu'il
fallait : leurs habits de fête dans l'armoire qui ne s'usent pas
et ne changent pas de mode.
La
semaine sainte, il y a des messes tous les matins. Les plus grandes
c'était le jeudi, le vendredi et le samedi. Les femmes et les enfants y
vont et quelques hommes, mais pas trop. Le samedi, le curé bénit l'eau
et tout le monde emporte l'eau bénite dans une petite bouteille. Les
cloches qui étaient parties à Rome étaient revenues et sonnent tant que
peuvent tirer les cordes les deux sonneurs (le Toine et le Benoît
Bleu). Le samedi encore, le monde va se confesser pour pouvoir
communier le dimanche et « gagner ses Pâques ». Les hommes y
vont comme les femmes. De mon temps, ceux qui ne gagnaient pas leurs
Pâques étaient montrés du doigt.
La
grand-mère de l'Orme faisait du riz au lait. Mon grand-père ne l'aimait
pas trop, mais il en mangeait quand même. On faisait encore des oeufs
avec des coquilles vertes parce qu'ils étaient cuits avec des feuilles
de poireaux. Je me rappelle qu'avec mon frère Marcel et ma voisine
Germaine, nous regardions le ciel tous les jours pour voir passer les
cloches et je crois bien que nous les avions vues tellement nous étions
sûrs qu'elles s'envolaient.
Je
me rappelle que le grand-père chauffait le four pour faire cuire les
pompes de pommes ou de bouillie. J'aimais surtout les bouillies. Je
n'en ai jamais trouvé des pareilles de ma vie, j'en garde encore le
goût !
Je me rappelle comme on était contents, le jour de Pâques avec nos habits neufs pour aller à la messe.
Devant
la porte de l'église, le monde se parlait, content de se retrouver, de
dire les nouvelles. On embrassait les tontons, les tatas et les
cousins. Quand la cloche sonnait trois coups, le monde entrait dans
l'église : les hommes montaient à la tribune, les femmes et les
enfants restaient en bas, les hommes qui chantaient s'asseyaient dans
le chœur.
Je
me rappelle surtout que tout le monde avait l'air content ; il me
reste le souvenir de figures avec le sourire qui aimaient parler et
marcher avec les autres dans les chemins.
Après la guerre tout a changé :
- trop d'hommes avaient été tués,
- la religion s'est perdue,
- le monde est devenu tout chagrin,
- mon père, ma mère, mon grand, ma grande étaient tous morts,
- un morceau de ma vie était fini !
Madame Juliette
Blateyron. Pâques 1992