LE JARDIN DE MEMOIRE : Nathalie Batisse, jardinière ethnobotaniste

Fleurs et jardins en vallée de l'Ance

La vallée de l'Ance possède cette  richesse rare, largement  héritée des pratiques paysannes, d'avoir su garder sa flore cultivée, transmise de génération en génération. Il lui reste à trouver les moyens de préserver cette identité, cette élégance et cet à-propos que les aménagements végétaux rapportés ne pourront jamais vraiment égaler.

 
Le jardinage paysan s'est construit hors des circuits commerciaux, hors de tout modèle préconçu. C'est un jardinage au jour le jour, qui laisse la place aux fleurs sauvages et au vagabondage végétal.  Un jardinage « à la bonne franquette » où l'on devine mal les limites entre le privé et le public, entre le cultivé  et le sauvage.

 

Ici comme ailleurs, ce jardinage traditionnel s'essouffle et cède le pas à des pratiques plus individuelles, normalisées par l'offre commerciale. Cette évolution annonce trop souvent la mort des flores vernaculaires.

 

Les fleurs et herbes -et leurs emplois- sont arrivés jusqu'à nous par les femmes, grâce aux échanges au sein d'une société rurale homogène.

Aujourd'hui les habitants viennent de tous les horizons. Pour conserver la flore vernaculaire, pour conserver les savoirs liés, il faut que se créent des liens au sein d'une population devenue hétérogène. Ce n'est  pas toujours facile, mais le jardin est un si beau point de rencontre !

La maison de pierre abrite habitation, étable et grange sous un même toit. Souvent une ou deux poirières, palissées ou non, habillent la façade. Parfois, une niche dans le mur abrite une petite statue de vierge. Devant la maison, la cour avec parfois un tilleul, une pommier, ou un frêne. Suite à la cour, le jardin, avec son mur de pierre, précieux radiateur des jardins d'altitude.  C'est la disposition de beaucoup des fermes isolées, ou regroupées en minuscules hameaux. Les devant de portes sont souvent ornés de quelques fleurs, dans de minuscules jardins de pied de mur. Le jardin est avant tout vivrier, les fleurs et autres herbes aromatiques ou médicinales, affaires de femmes, sont reléguées sur les côtés du potager où la charrue des hommes n'ira pas les bousculer. Des pruniers et des lilas poussent un peu partout dans les clôtures. Parfois, quelques cultures bouquetières, glaïeuls, lys ou dahlias, plantés en rang d'oignon, voisinent avec les légumes.                   


« On s'en donne pour que cela ne se perde pas », me dit Claudie Jarrafoux, qui habite cette ferme du Chomet, sur les hauteurs de Saint Anthème. Il y a probablement longtemps que cette transmission des plantes est en vigueur : les petits fouillis des dames sont de vrais conservatoires

                                                                         





Photo Alexis Pernet
Masculin/féminin ; le rosier blanc de Mme Jarrafoux :
« Vous voyez ce rosier, il est très ancien, il a plus de
cent ans. C'est une plante de grand-mère. Une année,
au printemps, mon mari a ramassé la broussaille, fait
un feu, fait brûler tout ce qu'on ramasse autour du
jardin. Il n'a rien trouvé de mieux que d'amener la
broussaille au pied du rosier, là. Le rosier n'avait pas
encore de feuilles, il n'a pas fait attention, et il a brûlé
le rosier, avec sa broussaille. Le lendemain, il m'a dit :
« j'ai fait une grosse bêtise, figure toi, le rosier a brûlé
avec le tas de broussailles ». Sa mère qui aimait tant
ces petites roses, elles sont parfumées… Et alors
cette année là il a fait deux ou trois tiges, sans rien, et
l'année suivante, il a été aussi gros qu'avant ! Ça lui a
fait de l'engrais. »


Puis, les fermes se vident :

 

La famille vient parfois tondre l'herbe, mais les anciens sont morts ou partis, les vaches ont déserté l'étable, la cour n'a plus son bacha (abreuvoir de pierre), les vieilles poirières, moins bien taillées, ne profitant plus du fumier et des abreuvoirs, donnent de moins en moins, et commencent à cacher les fenêtres. Des orties dépassent du mur du jardin. C'est la fin d'une époque.


Les fermes accueillent de nouveaux habitants ou deviennent résidences secondaires. Le jardin paysan cède le pas au jardin d'agrément. Pour la flore des lieux, le changement est parfois réussi, quand les habitants y sont sensibles...


.........parfois ce changement sera fatal.



Les jardins des bourg et villages

Groupés sur les pentes bien exposées des villages, ils sont entourés de murs. Ces murets de pierre créent des terrasses, abritent les cultures et réchauffent les plantes lorsqu'ils restituent la chaleur emmagasinée au soleil. 

Ces terrasses jardinées, bienveillantes ceintures vertes des bourgs, ne se sont pas éloignées du modèle paysan. Avant tout potagers, leurs fleurs et herbes,  se serrent contre les bordures et dans les minuscules jardins de pied de mur. Quelques fruitiers profitent des terrasses.  Les cages à lapins témoignent d'un mode de vie qui oblige à un maximum d'autonomie : légumes, volailles, fleurs et herbes sont produites sur place par les plus anciens. On retrouve la flore traditionnelle des jardins paysans.

Les jardins « paysagés »  gagnent du terrain, les végétaux traditionnels disparaissent. La flore et les aménagements des constructions neuves ne doivent souvent plus rien au modèle paysan et n'ont plus de rôle conservatoire.




L'atelier des paysages travaille sur l'encouragement à restaurer les échanges de plantes entre habitants, méthode qui a conduit jusqu'à nous les fleurs des grand-mères. Un outil a été joint à l'exposition sur les poirières : il s'agit du "Cahier d'échange des fleurs et herbes de la vallée de l'Ance". Ce cahier liste les principales espèces "traditionnelles" sans exclure d'autres plantes et fonctionne comme un système de petites annonces : tel jardinier donne de la rose de Provins, tel autre cherche du ruban de bergère.... pour chaque végétal un court texte explique l'histoire de la plante, son mode de culture et de reproduction.



En 2009


Les jardins ont montré leurs richesse au cours de la saison précédente, il s'agit maintenant de l'aider à perdurer. Le cahier d'écange des fleurs et herbes de la vallée de l'Ance est multiplié et déposé dans les bars et autres commerces  arborant ce pannonceau.




Troc-plante organisé par les bibliothécaires de Saint-Anthème. La bibliothèque est dépositaire du "cahier d'échange des fleurs et herbes de la vallée de l'Ance" conçu dans le cadre de l'atelier des paysages, cela leur a donné l'envie d'organiser un échange annuel, qui a lieu pour la deuxième année consécutive.






04/02/2008
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